Slide Linguiste Site web officiel Philippe BARBAUD Domaines de recherche Chroniques de langage Expertise juridique Autres écrits «Prédire n’est pas expliquer» (Thom): la négation de l’infinitif en phrase copulative Résumé —
L’occurrence de l’infinitif en position de sujet et d’attribut dans le schéma de base [V + être + V] de la phrase copulative fait l’objet d’une contrainte qui rend agrammatical l’énoncé strictement attributif. Pour éviter cette difficulté le locuteur applique une double stratégie cognitive de contournement.
C’est pourquoi le recours à l’opérateur de négation ou à l’opérateur de déictisation n’est pas facultatif. Grâce à leurs propriétés sémantiques et structurales, ces deux éléments permettent d’établir entre deux atomes syntaxiques V° une relation ordonnée, mais proprement lexicale, basée soit sur l’hyper/hyponymie, soit sur une échelle pragmatique définitionnelle.
Philippe BARBAUD
professeur honoraire de l’Université du Québec à Montréal
Département de linguistique et de didactique des langues
C.p. 888 8, succursale Centre-V ille
Montréal, Qc, H3C 3P8 Canada
1 — Le phénomène d’une contrainte
On pose sans autre discussion que l’infinitif est au verbe ce que l’indéfini est au nom, ce qui se justifie dans la mesure où la sémantique de l’indéfinitude transcende les catégories grammaticales. Avec ce titre d’un livre encore récent du mathématicien René Thom on veut illustrer un phénomène révélateur d’une curieuse contrainte grammaticale, à savoir qu’une phrase copulative dont l’attribut est un infinitif n’est pas acceptable telle quelle lorsque le sujet qui précède immédiatement la copule est lui-même un infinitif. En revanche, la même construction s’avère parfaitement grammaticale en contexte de phrase copulative négative. C’est ce qui se dégage du contraste entre (a) et (b) dans les exemples (1-6):

(1) a. Prédire n’est pas expliquer (R. Thom)
b. *Prédire est expliquer
(2) a. Souffler n’est pas jouer (Ayer)
b. *Souffler est jouer
(3) a. Mourir n’est pas finir, c’est le matin suprême (V. Hugo)
b. *Mourir est finir
(4) a. Peindre n’est pas teindre (J. Dubuffet)
b. *Peindre est teindre
(5) a. Braconner n’est pas voler (M. Genevoix)
b. *Braconner est voler
(6) a. Plaisanter n’est pas répondre (Colette; Martinon)
b. *Plaisanter est répondre


De manière étonnante, la proposition affirmative qui s’oppose à la négative s’actualise obligatoirement (mais non pas exclusivement) au moyen d’une construction apparentée à celle dite “à dislocation gauche” ou encore “à détachement” au moyen du pronom ce. Aussi les exemples (7) illustrent-ils, à l’instar des énoncés (1-7a), un usage que l’on préfère aux exemples (1-6b) :

(7) a. Vouloir, c’est pouvoir
b. Vivre, c’est naître lentement (A. de Saint-Exupéry)
c. Redouter l’ironie, c’est craindre la raison (S. Guitry)
d. Être contesté, c’est être constaté (V. Hugo)
e. Partir, c’est mourir un peu (E. de Haraucourt)
f. Choisir, c’est préférer (Donnay)
g. Connaître, penser, c’est classer (G. Clémenceau)
h. La conduire, c’est l’adopter (campagn e publicitaire)
i. Piquer, c’est voler; Pirater, c’est voler (campagnes publicitaires)

Ces deux constructions caractérisent abondamment l’art de la maxime et de la sentence en français sur le plan syntaxique. On en déduit alors que, contrairement aux prévisions, la structure phrastique canonique de la grammaire, que l’on sigle SCA pour [Sujet + Copule + Attribut], échoue à engendrer la base formelle adéquate au contenu propositionnel de ce genre d’énoncés, d’où la pertinence implicite du titre de l’ouvrage de Thom. Face à la contrainte mystérieuse que soulève la structure SCA en contexte de deux infinitifs, le sujet parlant obéit à une stratégie de “contournement” puisqu’il exploite une structure apparentée, comme si sa grammaire le forçait à délaisser la structure basique de la phrase. La construction analysée selon la formule (8) représente l’alternative de la focalisation forcée grâce à ce, où Φ = Phrase: Φ

(8) Formule (A): [Φ VInf [ ce + être + Vinf]]

tandis que la construction analysée selon la formule (9) actualise le mauvais
résultat qui signale une contrainte inhérente au système de la langue française:

(9) Formule (B): *[Φ VInf + être + VInf ]

Incidemment, c’est à cette contrainte que Jean-Paul Sartre s’est plié lorsqu’il a formulé sa fameuse tirade de Huis-Clos: «L’enfer, c’est les autres» puisque la mauvaise formation de la structure canonique *L’enfer est les autres comporte un vice de forme qui violente l’intuition linguistique sans même que l’infinitif soit concerné. On reviendra sur cet exemple dans notre conclusion.
Outre d’être naturellement propice à l’art de la maxime ou de la sentence, la phrase copulative négative illustrée dans les exemples (1a-6a) se distingue de son équivalente affirmative par le fait qu’elle ne requiert pas la focalisation forcée de l’infinitif sujet. Convenons que la construction analysée en (10)
caractérise la Formule (C):

(10) Formule (C): [Φ VInf + ne/pas + être + VInf ]

Non pas que la focalisation soit incompatible avec la négation, puisque les phrases du type S’évader, ce n’est pas fuir sont impeccables, mais on observe que l’usage y recourt plutôt sporadiquement. Aussi fera-t-on valoir dans les lignes qui suivent que la “CONTRAINTE SUR LES INFINITIFS D E LA COPULATIVE”, désormais la CIC, n’est pas un effet de style consacré par l’usage littéraire, mais un effet de grammaire provoqué par l’interaction complexe entre la nature ontologique de l’infinitif, la nature sémantique de la copule, la nature pragmatique de la négation et l’information catégorique qui relève de la syntaxe intériorisée des locuteurs francophones.
4 — L’attribut: Atome ou syntagme?
Dans la logique du principe de symétrie catégorique, prévisible est la relative mauvaise formation des exemples (21) et (22) et ce, autant selon la Formule (A), cf. (21), que la Formule (C), cf. (22), puisque même pronominal en (21), le sujet déictique et l’attribut infinitif ne sont pas de catégorie syntaxique identique :

(21) [ X, ce + être + Y ]
*La prédiction, c’est expliquer. *?La mort, c’est (finir, ?disparaître). *La peinture, c’est colorier. ?Le braconnage, c’est voler.

(22) [ X + Neg + être + Y ]
*La prédiction n’est pas expliquer. *La mort n’est pas (finir, disparaître). *?La peinture n’est pas colorier. *?Le braconnage n’est pas voler.

On peut considérer que l’incertitude sporadique du jugement linguistique qui s’observe dans ces deux cas, de même qu’en (19), va dans le sens de l’effet de contournement qu’il est loisible d’attribuer aux Formules (A) et (C) en regard du principe de symétrie qui est sous-jacent de toute manière à la Formule (B). Il se pourrait cependant, en s’appuyant sur cette incertitude, que la structure catégoriquement asymétrique du paradigme illustré en (21) puisse assez bien convenir en langue orale car des énoncés comme ? La mort, c’est disparaître;
?Le but, c’est gagner; ?La démocratie, c’est voter, etc., ne sont pas si odieux.

4.1 Sujet SN déajectival
N’empêche que de telles licences apparaissent en variation assez libre avec une structure similaire illustrée par les exemples (23), mais dans laquelle le sujet ‘réel’est un SN déadjectival tandis que l’infinitif attribut est précédé de la préposition de de manière plus ou moins facultative. Si l’on compare (23) et (24), il existe une nette différence de grammaticalité:

(23) a. L’important, c’est (d’) expliquer .
b. L’essentiel, c’est (de) réussir.
c. L’idéal, ce serait de faire la paix.
d. Le plus difficile, ce fut de se parler.

(24) a. *L’important est expliquer.
b. *L’essentiel est réussir.
c. *L’idéal serait faire la paix.
d. *Le plus difficile fut se parler.

Grâce aux exemples (23) construits selon la Formule (A), on constate que l’effet de contournement provoqué par la focalisation s’applique non seulement à la Formule (B) mais aussi au principe de symétrie catégorique, ce qui est cohérent avec la mauvaise formation des exemples (24). Autrement dit, la focalisation forcée permet à la structure copulative de mettre en relation deux arguments de catégorie différente nonobstant le rôle du déictique en position de sujet apparent. Aussi la tentation est-elle forte de rendre compte de la mauvaise formation des exemples (24) en disant qu’ils se conforment à la Formule (B) à l’instar des exemples (7a) et qu’ils sont naturellement assujettis à la CIC, d’où le recours prévisible à la Formule (A) en (23).

4.2 Symétrie et complémenteur
Or il n’en est rien. Pas plus que les exemples (16) et (18) les exemples (23) ne se conforment au schéma de la Formule (B) parce que l’analyse [ Vinf ...+ être + Vinf ] qui est sous-jacente à (12) ne peut pas se généraliser à l’analyse [ XO + être + YO ]. L’analyse donnée en (12) énumère des catégories atomiques et non des
catégories syntagmatiques. En réalité, ce qui fait que les exemples (24) sont agrammaticaux, ce n’est pas la différence catégorique des arguments mais l’absence de complémenteur devant l’infinitif attribut, comme le prouve la bonne formation des exemples (25):

(25) L’important est d’expliquer. L’essentiel est de réussir. L’idéal serait de faire la paix. Le plus difficile fut de se parler.
Ici, nul besoin de la négation ou de la focalisation. Le pouvoir structurant du complémenteur prépositionnel de, cf. Kayne (1980: 50), fait toute la différence au point que le principe de symétrie s’avère soit non pertinent, soit entièrement respecté, auquel cas force serait de conclure que l’attribut en de + Vinf devrait être de catégorie syntaxique SN, un dénouement indésirable. On conclut de la grammaticalité des exemples (25) contra (24) que leur structure se conforme au schéma catégorique (26a), lequel est associé au schéma syntagmatique (26b):

(26) a. [ SN + être + [ de + Vinf ]]
b. [ Xʺ + COP + [ Yʺ]]

Cela veut dire, dans la logique inverse du principe de symétrie, que si un attribut en [de + Vinf ] correspond à une catégorie syntagmatique dite majeure de niveau Yʺ en vertu du complémenteur, alors l’attribut simplement [Vinf ] des Formules (A), (B) et (C) ne correspond pas à une catégorie de niveau Yʺ en raison justement de l’absence de complémenteur, On met donc le doigt sur un début d’explication en ce qui concerne les exemples (24), à savoir que puisque le sujet nominal est un SN (catégorie majeure Xʺ ), alors l’attribut se trouve à enfreindre la symétrie requise.
En effet puisqu’il est dépourvu de complémenteur, il n’est pas un syntagme verbal Vʺ symétrique au syntagme sujet Nʺ. Notre conclusion sera donc la suivante. Si l’attribut [Vinf ] n’est pas un Vʺ, alors c’est qu’il est un V°. Aussi faut-il conclure provisoirement, contre toutes les idées reçues, que l’infinitif attribut des phrases copulatives (1-7) n’est pas un syntagme mais un ATOME syntaxique correspondant à un TERME lexical. Cela force à représenter le schéma de base des phrases (1a-7a), tel que factorisé en (12) et repris en (27a), conformément à la configuration syntagmatique (27b):

(27) a. [ VInf + Neg + être + VInf ]
b. [ X° + Neg + COP + Y° ]

La pertinence théorique d’une conclusion aussi lourde de conséquence n’échappera à personne. On se limitera ici à constater que c’est justement le caractère atomique des catégories syntaxiques VInf du schéma SCA qui véhicule l’information structurale spécifiquement requise par l’interprétation définitionnelle,
cf. plus bas §6, si propre à ce type de construction.
Version PDF 2 — L’impasse de la substitution
Le lien entre la négation et le pronom a été établi par K. Sandfeld (1967):
«Employé tout seul [c’est-à-dire non précédé de l’indice [préposition] de], l’infinitif attribut a très fréquemment pour sujet un autre infinitif.» (Ibid., p.59).
Anodin à ses yeux semble être le fait que «très souvent, l’infinitif [sujet] est repris devant le verbe par le démonstratif ce (...)» (Ibid., p.30).
Toutefois, ce comportement est analysé de curieuse façon. L’éminent linguiste relève que «l’infinitif sujet est d’ordinaire repris par ce. Il peut être omis devant une négation (...) mais cette omission n’est pas indispensable.» (Ibid.).
Ainsi, pour Sandfeld, la copulative négative serait engendrée par la copulative à détachement par substitution du pronom ce par la négation, de sorte que le lien dérivationnel entre les deux structures se formaliserait à ses yeux comme suit :

(11) [Φ VInf [ ce + être + Vinf]] → [Φ VInf + ne/pas + être + VInf ]

On ne saurait poursuivre plus avant dans cette direction car l’analyse (11) sous-jacente à (8) procède d’une heuristique défectueuse puisque la Formule (A) n’est pas incompatible en tant que telle avec la négation, vu que la phrase Prédire, ce n’est pas expliquer est tout à fait correcte, comme déjà mentionné.
Dans un modèle proprement dérivationnel comme en grammaire générative, il convient plutôt de poser le problème selon le schéma (12), dans lequel le symbole M vaut pour un canevas unique de structure phrastique sous-jacente, et fournir l’explication qui convient à la prédiction erronée, i.e. Formule (B), qui représente l’une des trois structures dérivées identifiées parmi d’autres:

(12)[Φ VInf [ (Ce) + (Neg) + être + VInf ]] → { A, *B, C}

Le recours à l’opérateur de négation ou à l’‘opérateur’ de déictisation n’est donc pas facultatif en vertu de la CIC. Il peut donc être vu comme la manifestation d’une même stratégie cognitive consistant à pratiquer le ‘contournement’ de la difficulté grammaticale inhérente à la Formule (B). En quoi consiste cette difficulté, c’est ce que nous tenterons d’élucider.

3 — Spécificité de la CIC

3.1 Une propriété inhérente à la copule
Sur le plan descriptif, il appert que la CIC est conditionnée spécifiquement à la fois par la copule et par la co-occurrence des deux infinitifs. Premièrement, si la copule n’était pas directement mise en cause par la CIC, on ne comprendrait pas pourquoi des phrases non copulatives telles qu’en (13):
(13) a. Courir permet de fuir/Courir ne permet pas de fuir
b. Mentir invite à trahir/Mentir n’invite pas à trahir
sont grammaticales puisqu’elles se conforment aux deux formules mentionnées
plus haut, nonobstant la valeur de vérité de chaque proposition. Conclusion (I):
la CIC dépend spécifiquement de être copule, i.e. opérateur d’existence.

3.2 Pertinence de l’infinitif attribut
Deuxièmement, si l’infinitif attribut n’était pas partie prenante à la CIC on ne comprendrait pas pourquoi les phrases construites avec un attribut d’une autre catégorie grammaticale ne sont pas mal formées elles aussi selon des formules analogues à la Formule (B) . L’attribut des phrases citées dans les exemples suivants est respectivement nominal, cf. (14a), participial, cf. (14b), adjectival, cf. (14c) et prépositionnel, cf. (14d). On oppose alors la bonne formation des structures en (14) à la mauvaise formation de la Formule (B) donnée en (9) :
(14) a. S’évader est le but de notre plan. = [ VInf + être + SN ]
b. Mentir est défendu par la loi. = [ VInf + être + Vpp + SP ]
c. Promettre est toujours facile. = [ VInf + être + SA ]
d. Se taire est de mise, hors de question. = [ VInf + être + SP ]

Il découle de ces observations que la variation de la distribution d’un sujet infinitif n’affecte pas la bonne formation de la proposition affirmative, peu importe que le prédicat soit transitif ou non. La seule distribution qui donne un mauvais résultat est l’infinitif attribut. Si les structures de (14) devaient subsumer la Formule (B) comme analyses dérivées de ces énoncés copulatifs, il ne devrait pas y avoir de différence de grammaticalité entre Courir est un bon exercice et *Courir est bien s’exercer.

Conclusion (II): la CIC dépend spécifiquement de ce que l’attribut est un infinitif en contexte SCA.

3.3 Pertinence du sujet à l’infinitif
Troisièmement, si l’infinitif sujet n’était pas lui aussi partie prenante à la CIC, on ne comprendrait pas pourquoi un sujet d’une autre catégorie grammaticale n’est pas compatible avec la Formule (C), i.e. copulative négative. Dans les exemples suivants, le sujet est un SN substantif que l’on oppose au sujet à
l’infinitif dans une copulative négative:

(15) *[ X + Neg + être + Y] C. [ Xi + Neg + être + Xj]

a. *L’évasion n’est pas fuir. C. S’évader n’est pas fuir.
b. *Le mensonge n’est pas trahir. C. Mentir n’est pas trahir.

Or ces mêmes phrases sont mauvaises en l’absence de négation:
(16) *[ X + être + Y ]
*L’évasion est fuir.*Le mensonge est trahir. *La mort est disparaître.

3.3.1 Sujet SN par inhérence?
Incidemment, le contraste illustré en (15) met bien en évidence deux choses importantes sur le plan théorique. Primo, il est douteux que la position sujet Xi soit étiquetée SN par inhérence de construction, ce qui contredit apparemment l’hypothèse de la «préférence catégorielle» de Milner (1989: 369) et celle de la «distorsion catégorielle» de Kerléroux (1996: 57;62). Si c’était le cas, on s’attendrait à ce que la structure [SN + Neg + être + Vinf ] des exemples (15) soit grammaticale au même titre que celle des exemples (1a-6a) même si cette
position est occupée par un V. Comme ce n’est pas le cas, il faut en déduire soit que le sujet n’est pas un SN lorsqu’il est un infinitif, soit que l’attribut n’est pas lui-même un Vinf (ou un SV), mais un SN. La seconde alternative s’avérant peu prometteuse, la première devient une explication incompatible avec la thèse de
ces deux auteurs, à moins de relaxer le principe de symétrie catégorique.

3.3.2 Principe de symétrie catégorique
Secundo, ce contraste met aussi en évidence la nécessité qu’impose un attribut à l’infinitif au sujet d’une phrase copulative d’égalité attributive (voir plus loin, §5.3), de respecter un PRINCIPE DE SYMÉTRIE CATÉGORIQUE des arguments, bien que cette symétrie puisse tolérer une légère variation entre les traits <±défini>, <±partitif> et <±générique>, cf. (17) :

(17) [Xi + Neg + être + Xj ]
(Le, un) mensonge n’est pas une (*la) trahison. La mort n’est pas une disparition. La peinture n’est pas du coloriage.

En termes simples, ce principe énonce que si l’un des arguments d’une phrase copulative d’égalité attributive est un infinitif, alors le second doit être de même catégorie syntaxique, l’inverse n’étant pas vrai, un peu comme dans une structure coordonnée. Il découle du principe de symétrie catégorique qu’un SN ne peut être ni le sujet d’un infinitif attribut, ni ce dernier être de catégorie SN si son sujet est un infinitif. Ce principe rend compte partiellement de la structure propre à la Formule (C), mais ne renseigne guère sur la raison de l’impossibilité d’engendrer la Formule (B). On peut conclure toutefois que c’est le non-respect de la symétrie catégorique qui est à l’origine de l’agrammaticalité des exemples donnés en (16) compte tenu qu’ils partagent leur mauvaise formation avec (1b-6b). Il explique aussi la mauvaise formation des exemples (18), construits selon la Formule B, et dont la structure est à l’inverse de ceux donnés en (16), de même que celle des exemples (19), construits selon la Formule (C) à l’inverse des exemples en (15), bien que l’on constate dans ce dernier cas une nette amélioration de l’interprétation sémantique:


(18) *[ X + être + Y]
*S’évader est la fuite. *Mourir est une disparition. *Peindre est du coloriage.

(19) *[ X + Neg + être + Y]
?*S’évader n’est pas la fuite. *?Mourir n’est pas une disparition. *Peindre n’est pas du coloriage.

Par conséquent, toute structure de base factorisée selon le schéma [ X + (Neg) + être + Y ] doit être exclue de la grammaire en vertu de ce principe. Prévisible est donc la bonne formation des exemples donnés en (20) puisque la structure correspond à la formule banale mais symétrique [ SN + être + SN] :

(20) Une évasion est une fuite. Le mensonge est une trahison. La mort est une disparition. La peinture est du coloriage.

On implique du même coup que la bonne formation de (20) garantit celle que ces exemples auraient si c’était la formule (A) de la focalisation forcée qui s’appliquait. Conclusion (III): la CIC est exclusivement liée au trait <+infinitif> du sujet d’une phrase copulative structurée selon la Formule (B).

5 — La symétrie n’explique pas tout

5.1 Exclusion du complémenteur
Étonnante alors apparaît la mauvaise formation des exemples (28) par comparaison avec les précédents, cf. (23), ainsi que celle des exemples (29), lesquels donnent l’impression de se conformer au principe de symétrie
catégorique entre infinitifs :

(28) *La prédiction est d’expliquer. *L’évasion est (de fuir, de s’enfuir). *Le mensonge est de trahir.
*La mort est de disparaître. *La peinture est de colorier.

(29) *Prédire est d’expliquer. *S’évader est (de fuir, de s’enfuir). *Mentir est de trahir.
*Mourir est de disparaître. *Peindre est de colorier.

Pourquoi ce qui est permis en (25) ne l’est pas en (28)? Pourquoi le pouvoir structurant du complémenteur de donne-t-il un bon résultat en (25), mais qu’il échoue en (29) à rendre la Formule (B) acceptable? De toute évidence, le complémenteur n’est pas un élément capable de réaliser la stratégie du contournement. Qui plus est, il est obligatoirement exclu de la représentation sous-jacente de la Formule (C), ce que corrobore le fait que la copulative négative équivalente n’est guère bien formée, cf. (30):

(30) *Prédire n’est pas d’expliquer. *Mourir n’est pas de disparaître.
*Peindre n’est pas de colorier. *Braconner n’est pas de voler.

Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi la Formule (B) devrait inclure un complémenteur dans la structure sous-jacente de l’attribut.

5.2 Factorisation atomique
Par ailleurs, et toujours dans la logique inverse du principe de symétrie, il faut convenir que l’infinitif sujet en (29) et (30) ne peut pas être un syntagme de catégorie XO au même titre que le SN déadjectival de (25), sinon le schéma syntagmatique (31b), qui fait pendant au schéma catégorique (31a), serait conforme au principe de symétrie, contre l’évidence:

(31) a. *[ Vinf + être + [ de + Vinf]]
b. *[ X° + COP + X°]

Si l’asymétrie formelle des termes énumérés en (31b) est l’explication qui rend compte de l’agrammaticalité des exemples (30) en regard de la symétrie de (26b), qui rend compte de la bonne formation des exemples (25), alors la Formule (B) correspond nécessairement au schéma syntagmatique (32b) qui fait pendant au schéma catégorique (32a):

(32) a. [ Vinf + être + Vinf ]
b. [ X° + COP + X°]

Aussi doit-on conclure que (32b) correspond malgré son étrangeté dans un modèle de grammaire générative à une structure sous-jacente bien formée parce que conforme au principe de symétrie. Si elle n’est pas réalisable en surface, c’est pour des raisons qui échappent au principe de symétrie. Dans ces conditions, la bonne formation de la Formule (C), reprise en (33a), rend, tout aussi étrange, mais correcte, la factorisation du schéma (33b) :

(33) a. [ VInf + ne/pas + être + VInf ]
b. [ X° + NEG + COP + X°]

5.3 La variable lexicale
Que la forme ne soit pas seule en cause dans la stratégie de contournement qui disqualifie la Formule (B) en tant qu’énoncé bien formé se voit étayé par d’autres données. En effet, l’observable se complique davantage lorsqu’on prend en compte les exemples illustrés en (34-35):

(34) Le but est de gagner. Son idée est de s’évader. Notre désir est de voyager. La difficulté est de s’y rendre. L’avantage est de gagner du temps. (35)
*(Ce, un) but est de gagner.*(Une, cette) idée est de s’évader. *(Un, tout) désir est de voyager.
*(Cette, ?une) difficulté est de s’y rendre.*Un avantage est de gagner du temps.

Non seulement les exemples (34) contrastent-ils par le sujet nominal avec ceux de (28) sur le plan lexical, mais aussi avec ceux de (35) quant aux déterminants.
Que peut-on en dire ? D’une part, on est tenté de lier l’agrammaticalité de (28) à celle de (29): si l’un est mal formé, c’est parce que l’autre l’est tout autant, ou vice versa. Pourtant il n’en est rien. Alors qu’en (28) il y a symétrie syntagmatique entre Xʺ et Yʺ, mais pas entre les catégories atomiques N° et V°, en (29), c’est l’inverse qui prévaut. Il y a symétrie catégorique entre les termes V, mais il n’y a pas de symétrie syntagmatique entre X° et Xʺ. Force est de conclure que le principe de symétrie n’explique pas tout, et que d’autres raisons que purement formelles sont à l’oeuvre dans la disqualification de la Formule (B). En revanche, l’agrammaticalité commune des exemples (29) et (1-6b) semble attribuable à la même cause puisque le complémenteur n’y change rien. D’autre part, le second contraste, cf. (34-35), met en lumière le jeu déroutant de la variation du déterminant dans les phrases copulatives. Il y a là ample matière à investigation, mais on se contentera d’observer que l’attribut à l’infinitif d’une phrase copulative impose en général à son sujet nominal de devoir être un défini. Ajoutons que si l’on considère le contraste entre (28) et (34), il existe aussi des raisons lexicales plutôt obscures qui empêchent certains SN d’être admissibles en position sujet, mais qui le permettent à d’autres. Par conséquent, l’insuffisance du principe de symétrie ainsi que la prise en compte de la variation lexicale incitent à orienter la recherche des causes profondes de la stratégie du contournement de la Formule (B) du côté de la sémantique propre aux phrases copulatives en général.
13

6 Bien que Benveniste (1966: 192-3) argue avec force en faveur de la distinction entre l’existence
et l’identité, il demeure que l’égalité (sa “forme équative”) et l’identité se confondent à ses yeux.
6 — Ontologie sémantique de la copule

Sur le plan sémantique, il convient de théoriser quelque peu. On souscrit d’abord à l’idée que la copule établit une relation attributive quelconque en fonction du «vrai par définition», soit le «analytiquement vrai» postulé par Martin (1983: 23). Ensuite, on se réfère à la distinction classique en sémantique entre DESIGNATUM et DENOTATUM pour caractériser la différence entre (25) et (28). Dans un cas, les substantifs déadjectivaux s’interprètent toujours en tant que qualificatifs en raison de leur contenu SIGNIFICATIONNEL, tandis que dans l’autre cas, les substantifs nominaux se caractérisent lexicalement par un contenu DÉFINITIONNEL (ou DÉFINITOIRE). La signification relève du jugement, objectif ou subjectif, dans le monde décisionnel (donc virtuel) de la réalité (celui de l’énoncé et du discours), tandis que la définition relève du classement dans le monde conventionnel (donc réel) de la vérité (celle du dictionnaire). Une telle distinction dans l’univers du signifié relève d’une ontologie dépendante de la copule être qui, en français, confond le ser et le estar espagnols. Considérons par ailleurs l’opposition classique entre (36) et (37) en français :

(36) Jules est (bon citoyen, directeur de projet, *pote)
(37) Jules est (un bon citoyen, le directeur du projet, mon pote)

On pose que tout contenu significationnel entre obligatoirement dans une relation d’IDENTITÉ attributive, comme en (36), alors que tout contenu définitionnel entre obligatoirement dans une relation d’ÉGALITÉ attributive, comme en (37). Dans la première, l’attribut nominal dénote un titre (c’est donc un qualificatif), tandis que dans la seconde, l’attribut dénote un individu (c’est donc un référent). En outre, faut-il préciser, l’égalité nécessite deux arguments coréférentiels, en l’occurrence ici deux SN, tandis que l’identité ne peut être
induite que par l’argument externe de la copule. Cela signifie que l’attribut en (36) ne peut pas être un argument référentiel malgré son contenu nominal.
Comme de fait, dans la suite être directeur de projet, l’attribut est un pseudo-SN (ou SN tronqué) puisqu’il est dépourvu de déterminant; il est donc aussi dépourvu de référent. Cela permet d’éviter d’enfreindre le principe de symétrie. Dans les deux cas, l’argument externe doit être un syntagme, donc une catégorie de niveau XO. Or on vient de montrer que les infinitifs du contexte SCA ne sont pas des syntagmes, mais des atomes. Cette information catégorique rend la Formule (B) impropre à l’une ou l’autre des deux interprétations possibles d’un contenu significationnel puisqu’un atome verbal n’est pas référentiel, même en position sujet. La factorisation atomique force donc l’interprétation du schéma SCA à s’exercer au niveau définitionnel des termes, soit le vrai ou le faux analytique, ce qui révèle une belle corrélation entre la forme syntaxique via l’information catégorique, et le sens via l’information lexicale.

6.1 Hyperonymie et égalité
La mise en parallèle des copulatives construites avec arguments (co)référentiels et les copulatives construites avec des arguments infinitifs symétriques permet de mettre en évidence le fait que certains principes de sémantique lexicale sont applicables au niveau de la phrase, une réalité qui échappe à la grammaire générative. En effet, l’égalité définitionnelle obéit à un principe général d’interprétation lexicale en vertu duquel un hyponyme (h) doit précéder son hyperonyme (H) selon la formule {h < H} associée au schéma cognitif (être (x, y)). Le sujet d’une copulative définitionnelle est donc toujours l’hyponyme de son attribut coréférentiel. Aussi le schéma SCA de l’énoncé (38) est-il correctement interprété, contrairement à (39) qui transgresse ce principe:

(38) Un colibri est un oiseau = {h < H}
(39) °Un oiseau est un colibri = *{H < h}

Dans cette logique lexicale, on pourrait avancer que si le schéma SCA de la Formule (B) n’a pas de réalisation de surface, c’est parce que le principe d’hyperonymie y est aussi transgressé. En y regardant de plus près, cela s’avère exact. Dans les exemples (1a-6a) et (7), l’infinitif attribut qui suit n’est pas un hyperonyme de l’infinitif sujet qui précède. Stricto sensu, le verbe expliquer n’est pas un hyperonyme du verbe prédire, ni teindre, un hyperonyme de peindre, ou voler, un hyperonyme de braconner, et ainsi de suite. Il s’ensuit que la Formule (B) établit une égalité qui est d’autant plus fausse qu’il est pragmatiquement impossible au locuteur de déceler le trope de la métaphore qui pourrait valider la structure au niveau sémantique. Alors qu’il contourne pragmatiquement la fausseté objective de l’égalité présente dans les exemples (40a) et (40b) en recourant à la présupposition d’une part que l’homme et le loup ont quelque chose en commun comme la férocité, cf. Martin (1983: 186), et que d’autre part tel film tient de la médiocrité du légume :

(40) a. L’homme est un loup.
b. Ce film est un navet.

rien de tel ne s’offre à lui pour contourner la fausseté objective de l’exemple
(41) à l’instar de (1b-6b):

(41) °Courir est s’enfuir.

La contradiction des termes qu’impose le schéma SCA de la Formule (B) s’avère d’autant plus inévitable qu’elle relie deux atomes et non deux syntagmes verbaux, ce qui appelle le premier degré de leur contenu définitoire (codé). Par conséquent, ni la définition via l’égalité, ni la désignation via l’identité ne permettent d’interpréter correctement la Formule (B) à moins d’envisager que les deux infinitifs soient parfaitement synonymes, ce qui est exceptionnel. En vérité, une relation de stricte synonymie entre deux infinitifs aboutit à une interprétation contradictoire au même titre que °Le nom de Jules est Jim, voire aussi °Jules s’appelle Jim. A l’exception de la pure équivalence engendrée par certains rares cas de synonymie parfaite comme en (39a) et assimilable à une tautologie non informative, basée sur le code et toujours vraie, cf. Rey-Debove (1978: 326), le recours automatique à la négation, de même que le recours forcé à la focalisation s’expliquent par la nécessité conceptuelle soit d’éviter de parler pour ne rien signifier (tautologie), soit d’éviter d’affirmer ce qui n’est pas vrai (contradiction). Telle est la cause sémantique qu’il convient d’attribuer à la CIC.
Par conséquent, la Formule (B) est structuralement bien formée mais sémantiquement ininterprétable. C’est pourquoi il faut la noter °[Vinf +être+Vinf].

6.2 Énoncés réversibles
Cependant, une objection de taille doit être invoquée à l’encontre d’une telle explication. La relation d’hypo/hyperonymie n’est jamais sémantiquement réversible, comme le montre (39). Or il faut bien admettre que les formules (A) et (C) le sont. Dans la bouche d’une cartomancienne, la phrase Expliquer n’est pas prédire a beaucoup de sens. De même, la phrase Teindre n’est pas peindre s’avère parfaitement interprétable chez le blanchisseur. Plus transparente encore est l’interprétation de Voler n’est pas piquer, contrairement à °Piquer n’est pas voler, une affirmation négative jugée douteuse, voire carrément fausse. Toutefois, la réversibilité selon la Formule (C) révèle quelque chose de plus, à savoir que la saillance définitoire de chaque terme dans l’esprit du locuteur est ce qui détermine leur disposition dans l’énoncé.
Si l’on compare (42) et (43), on s’aperçoit que la réversibilité des termes n’est vraiment possible que si dans l’esprit du locuteur le premier terme, ou terme focal, jouit d’une moins haute “estime” définitionnelle (symbole d) que le second (symbole D):
(42) a. Expliquer, c’est prédire en fin de compte. {d (expliquer) < D (prédire)}
b. Préférer, c’est finalement choisir. {d (préférer) < D (choisir)}
c. Naître lentement, c’est vivre. {d (naître) < D (vivre)}

Mais cette saillance subjective ne peut pas toujours supplanter l’implication
définitionnelle objective, comme le montrent les exemples (43):

(43) a. *?Voler, c’est piquer. {d (piquer) < D (voler)}
b. *?Teindre, c’est peindre. {d (peindre) < D (teindre)}
c. *?S’enfuir, c’est s’évader. {d (s’évader) < D (s’enfuir)}

Aussi peut-on faire valoir que la saillance lexicale est indissociable d’une échelle pragmatique de valeurs subjectives associée au contenu définitoire de chaque terme du dictionnaire de sorte qu’on obtient un schéma cognitif {d < veut dire “est lexicalement inclus” dans celui-ci, et qu’il veut dire “est pragmatiquement supérieur à” dans celui-là.
7 — La stratégie cognitive du contournement

Sur la base de ce point de vue pragmatique, on est maintenant en mesure de démonter le mécanisme du contournement par le recours ‘forcé’ à la négation ou le recours ‘forcé’ à la focalisation pour éviter d’avoir à actualiser en surface le schéma SCA de la Formule (B). Le choix s’effectue entre la modification de l’interprétation grâce à l’intervention de l’opérateur de négation Neg, et la modification de la structure grâce à celle de l’opérateur de déictisation Ce.

7.1 Le contournement par la négation
Le recours automatique et inconscient à la négation qui est illustré en (1a-6a) s’explique ainsi: on doit nier ce qui est faux pour éviter d’affirmer ce qui n’est pas vrai. Si je dis *Courir est s’enfuir, le schéma SCA énonce soit une fausseté définitionnelle — évidente dans °Boire est manger. — soit une tautologie apparemment insoluble. Même pourvu d’un caractère nominal, l’infinitif n’a pas le pouvoir d’individuer un objet du réel à partir duquel énoncer une vérité ou une fausseté significationnelle. Mais si je dis Courir n’est pas s’enfuir, j’affirme ce qui n’est pas vrai sans dire une fausseté parce que, suivant Muller (1991: 45): «la valeur de rejet d’un énoncé présupposé ou réel [est] la valeur de base de la négation». Si, par commodité, on résume le présupposé à l’altérité, nier l’assertion °Courir est s’enfuir présuppose que ‘courir’{veut dire autre chose que} ‘s’enfuir’. Par conséquent, l’interprétation de Neg+être de la Formule (C) équivaut au sens définitoire {veut dire autre chose que}. La négation élimine la contradiction et valide une tautologie potentielle en signalant au locuteur la dualité du sens et du contenu des termes atomiques. C’est pourquoi il est toujours possible de compléter l’assertion négative en disant Courir n’est pas s’enfuir mais déguerpir tout en restant dans le domaine de la sémantique définitionnelle. Grâce à cette propriété bien connue de la négation, on introduit une échelle pragmatique, laquelle toutefois s’avère moins rigide que celle qui est induite par les termes à polarité négative, cf. Fauconnier
(1976). De toute évidence, la trilogie courir/ déguerpir/ s’enfuir s’ordonne selon une échelle d’intensité qui varie selon le contexte ou l’énonciateur. Dans l’exemple en titre, Prédire n’est pas expliquer, le terme (noté D) jugé le plus favorablement par le célèbre mathématicien correspond à l’attribut expliquer, et le terme qu’il juge ‘définitionnellement’ inférieur, noté (d), sera toujours
l’infinitif sujet qui précède la copule, i.e. prédire. On conviendra ainsi de ce que la présupposition sous-jacente à la négation repose sur une alternative qui reste toujours sujette à un rapport de force lié à la crédibilité de l’énonciateur.
En définitive, la propriété de réversibilité liée la négation en contexte SCA démontre que le maximum d’une échelle de valeurs prédicatives (non scalaires) est un repère variable (non codé) parce qu’une telle échelle est construite par le locuteur lui-même. Ce dernier sait fort bien, mais de manière tout à fait inconsciente, comment se servir de la négation pour juger de l’égalité attributive entre deux prédicats en fonction de la relation {d < D} qui accompagne le schéma négatif ~(être (x, y)).

7.2 Le contournement par la focalisation En dernier lieu, il convient d’expliquer pourquoi la focalisation illustrée en (7)
constitue l’alternative structurale de la résolution de l’impasse à laquelle conduit la Formule (B). On émettra l’hypothèse que la focalisation par ce correspond à l’introduction dans la structure syntaxique d’un ‘opérateur de déictisation’, dont la fonction consiste à créer les conditions requises par la relation d’égalité attributive. De par son caractère démonstratif, la pro-forme ce anaphorique, à l’instar du il coréférentiel ou du il impersonnel, nominalise la position sujet grâce à ses traits pronominaux, ce que ne peut pas faire un infinitif. Cette opération autorise cette “donation du référent” dont parle Cadiot (1991) à propos des déterminants. Dans la Formule (A) le démonstratif ce est ce que j’appelle un ‘référo-transmetteur’ qui s’interprète en tant qu’hyponyme générique du terme attribut, conformément au principe d’interprétation lexicale
de l’égalité attributive. Telle est la finalité de la focalisation. Un pronom dit ‘personnel’ n’est jamais interprétable en tant qu’hyponyme.
De ce fait, le sujet de la structure s’ancre dans le monde réel <+R> des substantifs hyponymiques au détriment du monde virtuel des prédicats. Cela se traduit par la présence en position sujet d’une entité individuée faisant
partie d’un ensemble abstrait et fictif. Applicable devient donc l’opération de classement qui sous-tend l’interprétation hyperonymique inhérente à l’égalité attributive. En effet, si je peux dire S’évader, c’est s’enfuir, c’est parce qu’il
possible d’assimiler le prédicat s’enfuir à une entité {GESTE} ou encore une entité {ACTION) comme courir. Grâce à ce, la transitivité de la copule bascule du monde du jugement vers le monde du classement. D’une certaine manière, l’{action de s’évader} est une ‘sorte de’ {action de s’enfuir}. Les formules suivantes récapitulent l’analyse:

(44) a. [ Vinf [ ce + être + Vinf ]]
b. [<+R> [ <+R> + cop + <−R> ]] = attribution d’égalité c. < h > < h > < < H >

Aussi, la focalisation forcée via le déictique se pose-t-elle en procédé d’énonciation distinct et alternatif de la dislocation via un pronom personnel en dépit d’une structure de phrase identique.


8 — Conclusion
En guise de conclusion et de résumé, car le sujet est loin d’être épuisé, puisque
Sartre n’a pas écrit *L’enfer est les autres, on peut présumer qu’il a obéit à la
CIC sans pour autant être confronté à des infinitifs. Cela suggère que seul le
principe de symétrie est en cause. Dans cet énoncé, l’attribut les autres étant
dépourvu de contenu définitionnel propre, l’attribution d’égalité ne peut pas être
réalisée et ce, par défaut d’hyperonyme. Aussi, recourir au procédé de la
négation de l’attribut nominal pour contourner le problème aurait signifié le
contraire de ce que le philosophe aurait voulu dire sachant que l’altérité
présupposée a peu de chances d’être déduite de l’altérité énoncée, pouvant
même se retourner contre lui. Si L’enfer n’est pas les autres, quel est donc cet
autre qui est l’enfer? Sartre n’avait donc pas d’autre choix que de s’adonner au
réflexe de la focalisation. En créant un ensemble virtuel mais référentiel au
moyen de la pro-forme ce, ensemble dans lequel il situe l’enfer (d) par
déictisation, l’auteur de Huis-clos situe ‘les autres’ au point de repère le plus
haut (D) de son échelle de valeurs négatives.

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